Monday, July 18, 2005

A chacun son mausolée ?


Les Berlinois ont récemment inauguré, au centre de leur belle ville, un grand mausolée en souvenir des juifs victimes du nazisme.
Certains reprochent aux édiles de la ville de n'avoir évoqué que les juifs.
Certains, au nom des groupements juifs qui se sont battus pour obtenir ce monument au souvenir, reconnaissent qu'il pourrait y avoir là une sorte de racisme et proposent, tenez-vous bien, que l'Allemagne construise aussi un autre mausolée, à la mémoire des Tsiganes et des homosexuels!

Et les autres, tout autant victimes de la barbarie? Et les Français? Et les Hollandais? Et les Russes? Et les Belges? Et les femmes? Et les blonds? Et les gros? Et les catholiques?
À chacun son mausolée?
Ils ont tous souffert la même dégradation. Traités comme on ne traite pas les bêtes.
On achevait les chevaux, mais ils l'ont laissé, celui-ci, le résistant, le prisonnier politique belge, mourir comme une loque exténuée, privée de toute dignité.
Sur la route de Dora, fuyant l'avancée des russes, sans nourriture et sans eau autre que celle, putride, du canal où flottaient les cadavres, pantin désarticulé de moins de trente kilo, il était plié sur l'épaule d'un autre, à peine plus vaillant mais qui avait gardé la dignité humaine de la compassion. Il s'accrochait des deux mains squelettiques à la ceinture de son compagnon pour ne pas glisser bas de cette épaule, le seul monde qui lui restait. Jusqu'à ce que les mains se décrispent avec le dernier souffle. Il glissa finalement au fossé, discrètement, sans signe extérieur particulier. Une carcasse qui avait enfin cessé de ne pas comprendre, de ne plus espérer. C'était mon père. A lui aussi son mausolée?

Il y a la barbarie. Elle est une. Et il y a toutes ses victimes. Toutes ensemble. Point.

Cessez, tous, par pitié, cette ignoble valse des étiquettes.
Ne voyez-vous pas qu'en voulant distinguer certaines victimes des autres, vous ne faites que reproduire le processus? Une étiquette aujourd'hui, une étoile jaune demain.